Total Energies, le géant français des hydrocarbures vient d’annoncer son départ du Mali après plus de 25 ans d’activité. Le repreneur Coly energie Mali, succursale du Béninois Petro Bénin hérite de 80 stations-service, ainsi que de la fourniture de carburant aux secteurs minier et aéronautique.
Les autorités maliennes ont salué cette opération qui préserve les emplois des 1.100 employés de Total Energies dans le pays.
Même si l’entreprise française refuse de communiquer sur les raison de son départ, la dégradation des relations entre la France et le Mali en est la principale cause.
La convention fiscale en question
Le 5 mars 2024, le Mali a dénoncé la convention fiscale qui la liait à la France. Bamako estime qu’elle était davantage favorable à la France, à son détriment.
En d’autres termes, la convention d’évitement de la double imposition, qui était appliquée en faveur des citoyens et entreprises françaises opérant au Mali, n’est plus valide. “Cette convention profitait largement aux multinationales françaises opérant au Mali et faisait perdre énormément d’argent à l’État malien”, commente le site internet bamada.net.
L’entreprise pétrolière française a été visiblement prise de cours par cette décision des autorités de transition du Mali ; d'où le refus ou retard de paiement des taxes et impôts qui a contraint l’administration fiscale à fermer la direction de Total Energies Mali le 9 novembre 2024, pour “non paiement des impôts”. A cela il faut ajouter la succession de grèves qui alourdissait le climat au sein de l’entreprise.
Orano, indésirable au Niger
Les relations diplomatiques délétères entre la France et les Etats du Sahel impactent également les affaires entre Paris et Niamey. Le bras de fer entre Orano, le géant français de l’uranium détenu à 45% par la France et les autorités nigériennes a pris une autre dimension le 4 décembre 2024.
Ce jour-là, le géant français de l’uranium, présent au Niger depuis 50 ans, a déclaré que Niamey avait “pris le contrôle opérationnel” de sa filiale. Ce sont ainsi 5% de la production mondiale d’uranium qui sont en jeu.
Ce développement est intervenu à la suite de la suspension par Orano de la production d’uranium, après le retrait en juin 2024 du permis d’exploitation du gisement d’Imouraren dont les réserves sont estimées à 200 000 tonnes.
D'après les informations de Jeune Afrique, le Niger aurait pris langue avec Rosatom, l’agence nucléaire russe en vue du transfert des actifs d’Orano, alors que l’entreprise française a sollicité l’arbitrage du CIRDI. Il s’agit du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements de Washington qui fait partie du groupe de la Banque Mondiale.
Loin d'être des cas isolés, ces exemples illustrent la dégradation de la coopération économique entre la France et les pays du Sahel, de pair avec le “pourrissement” de leurs relations diplomatiques.
L'Algérie prend ses distances
Outre le Sahel, les relations entre l'Algérie et la France sont aussi en dent de scie, avec des conséquences quantifiables sur les affaires.
Dans une interview en date du 2 février au quotidien français l’Opinion, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a souligné la volonté de priver l'économie française d’importants revenus issus des soins des patients algériens en France.
Ce faisant, il a réfuté les chiffres de l'extrême droite et de certains médias au sujet de l’ampleur de l’ardoise des patients algériens dans les hôpitaux publics français.
Pour Abdelmadjid Tebboune, la dette est de 2,5 millions d’euros en conformité avec les chiffres du ministre français de la Santé répondant à une question d’un député à l'Assemblée nationale.
Entre 2017 et 2023, les soins de patients algériens en France se sont élevés à 150 millions d’euros, a précisé Abdelmadjid Tebboune qui a décidé de tourner le dos à la France du fait des “tracasseries”.
“D’ailleurs, nous avons pris la résolution de ne plus envoyer nos malades en France. Ils vont dans d’autres pays européens, comme l’Italie, la Belgique ou encore la Turquie. C’est le résultat de toutes ces tracasseries que nous subissons“, s’est indigné le président algérien.
Au-delà du Sahel et de l'Algérie, les experts des relations franco-africaines sont d’avis que la perte de vitesse économique que subit Paris sur le continent, va de pair avec le rejet de sa politique africaine.
Cap vers des pays d’expression anglaise
A Paris, les autorités sont conscientes de cette nouvelle donne et tentent de trouver des voies de sortie.
La visite effectuée à Paris le 24 novembre 2024 par le président nigérian Bola Ahmed Tinubu, après le Ghanéen Nana Akufo-Addo à la mi-novembre, participe d’une volonté de la France de diversifier ses partenariats en Afrique au-delà de ce qui constituait son “pré carré des pays d’expression française”.
C’est dans cette logique que dès son élection en 2017, Emmanuel Macron avait entrepris de voyager hors de la zone d'influence traditionnelle française : au Nigeria (2018), en Ethiopie (2019) ou en Afrique du Sud (2021), même s’il avait sillonné d’anciennes colonies, notamment au Sahel (Burkina Faso et Mali notamment), où son armée était engagée contre le terrorisme.
"Cette orientation n'est pas nouvelle (...) mais les crises sahéliennes ont accéléré cette dynamique" depuis que des militaires putschistes qui se sont rapprochés de la Russie ont chassé la France du Mali, du Burkina Faso et du Niger, explique l'économiste togolais Kako Nubukpo, auteur de "L'Afrique et le reste du monde".
Du reste, Emmanuel Macron a insisté sur la nouvelle orientation des relations économiques avec l’Afrique, lors de la conférence des ambassadeurs, tenue le 6 janvier dernier, au palais de l'Elysée.
“On a bien fait d'aller faire la première visite au Kenya. Imaginez. On a bien fait de retourner pour la deuxième fois en Éthiopie, pays de plus de 100 millions d'habitants, d'avoir consolidé une stratégie énergétique et d'investissement avec l'Afrique du Sud”, a dit le président français.
Les chiffres semblent conforter le recul de la France dans ces anciennes colonies africaines.
Selon cet économiste togolais, "les premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique ne sont pas francophones": en 2023, le Nigeria arrivait en tête devant l'Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire et l'Angola, selon la direction générale des douanes françaises.
Reste que la compétition sur ces nouveaux marchés s’annonce rude avec des pays comme la Chine, l'Inde, la Turquie ou la Russie.
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