Afrique
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La France contre le Cameroun ou rappelez-vous de Mongo Beti
Aggée Célestin Lomo Myazhiom, docteur en Histoire, revient sur le rapport de la Commission mixte franco-camerounaise sur le rôle de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition entre 1945 et 1971.
La France contre le Cameroun ou rappelez-vous de Mongo Beti
Tankeu Noé était un militant indépendantiste et membre des forces de guérilla de l’Union des Populations du Cameroun (UPC)
il y a 14 heures

La remise du rapport aux présidents Macron et Biya est une incontestable avancée dans le travail de reconnaissance des crimes, des massacres coloniaux et de l’impérialisme de la France au Cameroun. Il est indubitable, à la lecture des 1000 pages "du volet recherche ", du travail effectué sur cette portion d’histoire querellée, que la commission mixte franco-camerounaise a fourni un travail sérieux et extrêmement bien documenté. Avec la minutie des historiens ayant pour boussole la restitution de "la vérité historique", la commission a levé le voile sur des pans occultés d’une histoire traumatique et des oppressions dont les traces sont indélébiles dans la société camerounaise.

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Posted by TRT Français on Wednesday, January 22, 2025

Tout ceci dans le non-respect, par la France des principes de dignité et de liberté du régime de Tutelle inscrits dans la Charte l'Organisation des Nations Unies de 1945. La colonisation crée: l’atomisation des âmes et des corps dans un espace clos ; un univers concentrationnaire où l’absence de liberté de pensée et d’autonomie sont la règle ; un engrenage où le référent extérieur est devenu l’unique modèle ; la création progressive du non-être et de la subordination ad eternam des Africains.

Soulignons que les autres intérêts du rapport de cette commission sont la déclassification des archives (ce qui permettra aux chercheurs de travailler de manière plus sereine) et l’indication de l’introduction dans les programmes scolaires de cette histoire.

Dans ce rapport, c’est aussi la reconnaissance des travaux pionniers d’Achille Mbembé sur l’UPC (Union des populations du Cameroun) et la lutte d’indépendance ou de Mongo Beti enseignant et écrivain camerounais sur la violence coloniale, le néocolonialisme et la françafrique qui a notamment écrit “la France contre l’Afrique”.

Il faut rappeler que cette guerre contre les défenseurs de la liberté et de l’autonomie des peuples est faite après la fin de la seconde guerre mondiale 1945 durant laquelle les Africains se sont sacrifiés pour la mère-patrie.

Des responsabilités camerounaises

Si les auteurs du rapport ont raison d’affirmer qu’il n’y a pas de vérité historique alternative, 'les faits, rien que les faits ', indiquant que le travail commun a permis " de parer aux analyses parfois trop binaires de l’histoire de la guerre du Cameroun" (p. 15), il ne faut pas oublier que " la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit" ou encore les effets de la "fracture coloniale". D’autant plus que les auteurs du rapports souhaitent "participer au travail de mémoire et de réconciliation".

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Il faut rappeler que le Président Emmanuel Macron, auteur du discours méprisant sur l’Afrique de Ouagadougou en 2017, est à l’origine de la commission. "Merci Bwana!". Au-delà de la volonté de sortir d’une vision asymétrique de l’histoire, il convient de pointer, par respect pour les victimes et leurs descendants, l’apathie des gouvernements successifs du Cameroun.

Au sortir du génocide des Tutsis, malgré les atermoiements de la France et d’une partie de la communauté internationale, le Rwanda a créé sa propre commission pour réfléchir sur son passé. Le pays des Crevettes n’a rien fait pendant 7 décennies.

Il est question d’autonomie de pensée et de construction d’une identité qui ne peut pas qu’être le miroir de l’autre. Et comme le souligne le philosophe Burkinabé, Bassidiki Coulibaly : "je t’esclavise, je te colonise : tu es mon ami" : c’est la réconciliation vue par l’oppresseur, la domestication de l’altérité. S’il s’agit bien de sortir d’une histoire lacrymale, c’est aux Camerounais d’en prendre l’initiative.

Il faudrait rappeler ici les propos de Pierre Nora dans Lieux de mémoire :

"La mémoire est la vie, toujours portée par les groupes vivants, et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérables à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longue latences et de soudaines revitalisations. L’histoire est la reconstruction toujours incomplète et problématique de ce qui n’est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l’histoire est une représentation du passé "

Les auteurs du rapport évoquent pour les cas Mankanda Pouth, militant indépendantistes fusillé le 03 janvier 1963, Noé Tankeu, militant du maquis à Douala, Tankeu Noé, un personnage qui a profondément marqué la ville de Douala et ses environs, fusillé le 3 janvier 1964 et Pierre Kandem Ninyim , parlementaire, chef Baham, condamné et exécuté le 3 janvier 1964 "des responsabilités camerounaises."

"Dans la mort de ces trois hommes, Ahidjo et les ministres concernés sont impliqués depuis le procès jusqu’à la mise en scène de l’exécution" concluent les historiens .

Il faut également se souvenir que cette lutte d’indépendance sanglante au Cameroun s’est achevée, avec la bénédiction de la France par la mise en place et le maintien de régimes autoritaires, manipulable et contrôlables : se comportant comme des gouverneurs de colonies ou des Hauts-Commissaires avec des accords de coopération militaires.

Rappelons que si le "pacte colonial" a imposé l’unilatéralité des relations entre la métropole et les colonies, au tournant des indépendances, de nouvelles stratégies sont mises sur pied par les acteurs qui se font face dans l’Afrique sous domination française. D’un côté chez les nationalistes considérés comme radicaux, on souhaite une indépendance totale avec pour corollaire une rupture de tout lien avec l’ex-métropole (se mettant notamment sous la protection d’une autre grande puissance capable de s’opposer idéologiquement et militairement aux ex-colons).

De l’autre côté, tant chez les dirigeants français qu’africains, majoritaires (dans lesquels on retrouve les futurs dirigeants du Cameroun), on est partisan d’une rupture progressive du cordon ombilical : une indépendance par étapes, placée dans un processus de construction mutuelle d’une nouvelle identité, l’Eurafrique , bâtie soit à travers des fédérations (Communauté - 1946 - ou Union Française (1958) ou des accords de coopérations signés avant/après les indépendances .
Il faut à la France des dirigeants lisses, obéissants. Des hommes forts capables de parler à leurs peuples : dictatures postcoloniales, partis uniques, pères de la nation, sages de l’Afrique, etc.

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Avec "ces politiciens habilement aliénés", on peut piller en paix. D’autant plus que ces potentats locaux, régisseurs de nations artificiellement constituées, véritables chefs de meutes, terrorisent et spolient. Et comme le montre Tibor Mende évoquant la pseudo-fin de la colonisation: "Si le gouverneur général et le drapeau étranger ont disparu, le carcan du système commercial international, mis sur pied pendant l’époque coloniale est resté. Les termes d’échange et les tarifs se sont révélés presque aussi efficaces que les canonnières et les parachutistes". Ainsi, après avoir été fouetté, après avoir intériorisé sa prétendue infériorité, l’Africain pratique allègrement l’auto-flagellation. Exemple éloquent: l’hyme camerounais adopté à l’indépendance. Il sera modifié en 1970.

« (...) O Cameroun, berceau de nos ancêtres = (...) O Cameroun berceau de nos ancêtres Autrefois tu vécus dans la barbarie Peu à peu tu sors de ta sauvagerie (...)» .

Hymne camerounais

Pour ne pas conclure… Quelles réparations pour les victimes ?

Pour les ex-colonisés, une interrogation majeure demeure : comment sortir des catégories imposées par l’autre, par le dominant ? Faut-il prendre le chemin tracé par F. Fanon, psychiatre martiniquais et philosophe engagé dans la lutte anti-coloniale: "En aucune façon ma couleur ne doit être ressentie comme une tare. A partir du moment où le nègre accepte le clivage imposé par l’Européen, il n’a plus de répit et, ‘dès lors, n’est-il pas compréhensible qu’il essaie de s’élever jusqu’au Blanc ? S’élever dans la gamme des couleurs auxquelles il assigne une sorte de hiérarchie’"

Quelques choix en découlent: de la bountysation - forme extrême de la négation de soi et la mentalité coloniale dénoncée par Fela Anikulapo Kuti - à la Gaston Kelman (auteur de "Je suis noir et je n’aime pas le manioc") ou se laisser emporter par un racisme à rebours ? En tout état de cause, l’afrocentrisme actuel peut, au-delà de ses excès, peut être perçu comme la réponse à des siècles d’histoire raturée, bafouée ou falsifiée selon les mots de Cheikh Anta Diop, historien sénégalais.

La mémoire à vif des Afrocentristes bouscule les écritures officielles de l’histoire. Il n’est plus question d’entendre une parole extérieure à leur "communauté". Lancés dans leur quête d’identité, ils se réclament "diopistes" (cf. Cheikh Anta Diop) ou "garveyistes" '(cf.Marcus Garvey) sans vraiment connaître les textes de leurs pères fondateurs dont les écrits sont érigés en dogme, les dévoyant et sortis de leur contexte de création. Cette action s’avère souvent contreproductive car ils donnent raison aux adeptes de la séparation des sociétés humaines ou des « races ».

Parmi ces derniers, il faut noter les travaux de l’historien Bernard Lugan qui souligne entre autres que "quand l’Afrique sort de son isolement, c’est en effet à des non-Africains qu’elle le doit" ; réfutant les travaux des paléontologues sur la naissance de l’homme en Afrique, il prône une recolonisation de l’Afrique, dans l’intérêt des Africains : "il estime que la colonisation fut une chance historique pour l’Afrique noire qui n’a pas toujours su la saisir ".

Sur le plan politique, au-delà des discours et des bonnes intentions d’Emmanuel Macron, la France doit prendre loi spécifique sur le Cameroun, comme elle a pu le faire en d’autres occasions pour d’autres massacres, à moins d’en faire "une affaire de nègres". Donc des crimes sans coupables ni responsable comme ce fut pour la loi Taubira du 21 mai 2001.

Soulignons avec Anthony Gifford (avocat anglais militant pour la liberté des colonies portugaises, et la mobilisation antiraciste en Angleterre) que le “principe des réparations pour des crimes contre l’humanité” commis dans les siècles passés a été reconnu dans nombre de cas où les terres des peuples indigènes avaient été volées ou ravagées par les colons européens.

En 1995, la Reine d’Angleterre s’est déplacée en Nouvelle Zélande pour signer le Waikato-Raupatu Claims Settlement Bill, par lequel était restituée aux Maoris la terre qui leur avait été volée en 1863 ; des dommages et intérêts ont été versés, et la Couronne a présenté au nom de la Grande-Bretagne des excuses solennelles.

Au Canada, le peuple Inuit a obtenu son autonomie sur les terres qui lui avaient été confisquées par les Européens. Les descendants des peuples natifs d’Amérique et d’Australie ont de même obtenu réparations et compensations au nom de ce qu’avaient subi leurs ancêtres . À ce titre les réparations au Cameroun ne peuvent pas uniquement être des actes “d’amitiés”, de repentir ou des actions artistiques. Il importe d’indiquer qu’il faut faire un pas plus avant dans le processus de décolonisation de l’histoire notamment dans les "les lieux de mémoire" qui encensent l’ex conquérant : c’est la sanctification de la défaite, la confirmation de l’hétéronomie dans les modes de pensée.

Toute histoire est fille du contexte qui la porte. Toute histoire se nourrit de la temporalité. Toute histoire enfante ses démons, oscillation permanente entre vérités et dénis. Tout récit historique, par essence, est sujet à controverse. Plus que jamais, ces dernières années ont montré, dans le cadre du choc post-colonial, faisant suite au fameux réveil des consciences opprimées des décolonisations de la seconde moitié du XXème siècle.

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Le réveil de la mémoire, bouscule l’histoire officielle, les « histoires officielles ». Les peuples se veulent comptables de leur présent et de leur futur, ce qui bouscule les convenances. La quête de l’objectivité et de la vérité historique passe par la mise en œuvre tant au niveau des objets de recherche que méthodologique par la voie ouverte par "l’histoire du temps présent".

Une histoire "d’en bas", comme le souligne Henri Lagrou, "une histoire faite à partir de témoignages oraux, une histoire du vivant et des vivants". Dans ce contexte d’entrechoc entre "temps historique et temps mémoriel" , il s’impose l’idée d’une autre mémoire et de faire passer ces sociétés, autrefois du subir en sociétés de l’agir et non plus seulement du réagir.

Il s’agit avant tout d’une appropriation de leur passé par les masses camerounaises. À ce sujet, il est aussi question d’ouvrir également l’ensemble des archives présentes au Cameroun pour sortir de la mémoire traumatique.

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